dimanche 4 mai 2008

Expo Zucca : Contextualisation ?

La contextualisation invite à appréhender un document en fonction de ce que nous savons (de par notre expérience et/ou de ce qu'on nous en a dit/enseigné) des conditions de sa réalisation et, au delà, de la personnalité même de son auteur. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, nous savons que les photographies d'André Zucca ont été prises, à Paris, en couleurs, durant l'Occupation : l'affiche nous le dit (prudence cependant, puisque Les Parisiens sous l'Occupation de l'affiche originale ne sont plus que Des Parisiens, désormais. Pas tous. Juste quelques uns. Sous-entendu désagréable : les autres avaient pris le maquis ou sabotaient des voies ferrées). Partons du postulat audacieux que nous savons également, en gros, ce que recouvre le terme d'Occupation (files d'attente, déportations, terreur, humiliation, marché noir...) et que nous jouissons optionnellement d'un niveau d'alphabétisation suffisant pour déchiffrer les légendes des clichés (optionnellement, car Une jeune cycliste... sous la photo d'une... jeune cycliste, par exemple, ça ne contextualise pas énormément. Pas plus que Lieu de sortie : le zoo de Vincennes, Les soldats allemands profitent d'une permission ou Les chapeaux foisonnent sur l'hippodrome... Les cartels, nous dit-on, ont, eux aussi été modifiés. Un nouveau feuillet d'explication est, par ailleurs fourni à l'entrée. Contextualisation, quand tu nous tiens).

Fourbissons encore nos armes et prenons nos renseignements sur ce Zucca (voir billet Une brève biographie d’André Zucca), artisan assez obscur, en vérité et si peu controversé qu'une partie des clichés présentés aujourd'hui à la BHVP l'ont été jusqu'au 31 mars de cette année, à l'Hôtel de ville de Paris, dans le cadre de l'exposition Paris en couleurs sans provoquer le moindre emballement, la contextualisation dépendant, elle aussi, du contexte.

Forts de ces informations, nous visitons l'exposition Des parisiens sous l'occupation. 270 photographies d'André Zucca, collaborateur notoire, germanophile avéré, et employé à Signal, magazine de propagande nazie. Que voyons-nous ? Des gens qui vaquent, généralement sous le soleil. Des croix gammées, rue de Rivoli, des soldats vert-de-gris dans la foule, à l'étal d'un marchand, aux Puces de St Ouen ou défilant, très seuls et un peu ridicules au milieu d'un boulevard désert. Des terrasses de cafés bondées, avenues vides, rue grouillante. Beaucoup de regards qui s’évitent et évitent celui du photographe. Des visages fermés, soucieux ou souvent, curieusement hors cadre. Ici, le sinistré d'un bombardement tire une charrette de meubles et d'effets, là, une femme porte l'étoile jaune... Un peuple défait. Mais aussi, ambivalence déconcertante, les gambettes des promeneuses, les sorties de cinéma, les élégantes et les nantis oisifs... Des vélos taxis, des enfants en patins à roulettes... Des jeunes filles qui posent, des sourires, des amoureux, des cerises... Quelques mises en scène évidentes. Telle celle où apparaît un bout de la couverture du magazine Signal. Propagande ? Non ; ce cliché, pas plus que les autres, n'a été publié. Ce Paris-là, s'il ne nous dit rien, expressément, de la souffrance, de l'oppression, de la misère, du rationnement, ne respire certes pas pour autant l'insouciance ou la gaieté. La couleur et le grand soleil peignent et éclairent ce qu'il est convenu d'appeler les années sombres. Propagande ? Non : Une contrainte liée à la pellicule utilisée par Zucca. D'une sensibilité extrêmement faible, elle le condamnait aux prises de vue extérieures et par grand beau temps. La couleur n'allège d'ailleurs en rien l'ambiance, mais la plomberait plutôt, par son caractère terriblement réel et familier. Tout est cru et semble plus vrai, plus proche. De vrais gens ont vraiment vécu, bien ou mal ou ni l'un, ni l'autre, ou et l'un et l'autre, l'occupation allemande à Paris. Juifs ou non, riches ou pauvres, qu'ils posent ou passent, et jusqu'aux soldats allemands, clope au bec, pas très frais, ni très aryens, ni très triomphants. Pas de spectacle, pas de symbole, pas d'expressionnisme, ni d'allégorie. Pas de noir et blanc, en somme.

Si un procès en propagande doit être intenté à Zucca, ce ne peut être, décidemment, qu'un procès d'intention. Car il ne dit rien. Rien de ce que l'on voudrait entendre et rien non plus de ce que l'on ne veut pas entendre.

Ce vieux monsieur qui se promène débonnairement dans la rue, rien ne le distingue de n'importe quel autre promeneur débonnaire, si ce n'est l'étoile jaune cousue à son veston. Zucca l'a-t-il seulement vue ? On en douterait presque... Et s'il l'a vue, qu'a-t-il voulu dire ? A-t-il voulu dire quelque chose ? Pour nous qui connaissons la fin de l'histoire, ce témoignage involontaire est inestimable, unique : voilà ce que le plus indiffèrent, le plus désinvolte, peut-être, en forçant le trait, le plus collabo des photographes voyait dans la rue, à Paris, sous une occupation allemande qui ne le gênait pas : un vieux monsieur qui se promène mais, déjà, une sorte de fantôme, marqué au coeur du signe jaune de sa propre fin.

L'idée que ces clichés puissent être autre chose que les instantanés d'un promeneur désengagé (et d'un professionnel passionné et ravi de jouer avec du matériel rarissime), un peu timoré, peut-être et peut-être, sans doute, pas très bolchevique, ni philosémite peut, et doit, bien sûr effleurer l'esprit. Ainsi que l'idée qu'il se pourrait bien après tout qu'ils ne fussent que cela. En y regardant de plus près, il apparaît que Zucca est aussi un artiste, un possible anarchiste de droite, pas forcément vichyste (ces photos peuvent aussi nous dire cela. Voir billet Pétain en vitrine) dont le propos n'est pas ici de militer, qui détourne sans doute souvent l’objectif de son Leica de souffrances ou d’exactions trop voyantes, mais qui, pour autant, ne manipule pas la réalité du quotidien qu'il a choisi de fixer. L'aspect le plus déplaisant de cette polémique, outre qu'elle semble avoir pour origine de basses intrigues de couloirs et qu’elle nous prend volontiers pour des imbéciles (commentaire plaisant d'un internaute à propos d’un article du Monde 2 : « Et dire que j'ai failli croire qu' en 1943, les parisiens se prélassaient tous au soleil. »), est qu'elle oblitère en partie le témoignage historique, pourtant valide et pertinent, que véhiculent les images de Zucca, sans parler de leur valeur artistique. Avec ou sans contextualisation.

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