dimanche 4 mai 2008

Des Parisiens sous l'Occupation (1/3)

De l’image et de la propagande

Controverse autour d’une exposition


Il est rare qu’une exposition organisée par la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris suscite autant de polémiques et de commentaires enflammés et contradictoires de la part des journalistes et politiques. Cette affaire, au-delà des multiples rebondissements de ce mois d’avril 2008, nous rappelle toute la pertinence qu’il y a à s’interroger sur le statut de l’image photographique en tant que document historique, ainsi que du délicat rôle de l’accompagnement pédagogique d’une exposition.

Rappel des faits à travers une revue de presse mouvementée

La BHVP programme du 30 mars au 1er juillet 2008 une exposition intitulée « Les Parisiens sous l’Occupation ». On y voit 270 clichés couleurs pris exclusivement par le photographe André Zucca, dans la capitale entre 1941 et 1944. L’ensemble est exposé dans un parcours scénographié, organisé selon les différents quartiers de Paris. Présentées avec peu d’explication, ces photos jettent rapidement le trouble.

Le problème de la contextualisation

Le 30 mars, Le Journal du Dimanche lance vigoureusement les premières critiques à l’encontre de cette exposition : les photographies ne sont pas ou peu légendées, le photographe qui a travaillé pour le magazine Signal, organe de la propagande nazie n’est pas identifié comme clairement collaborateur. Les clichés dans leur grande majorité révèlent un Paris gai, insouciant, aux terrasses de café bondées et aux jolies filles qui bronzent sur les quais de Seine. « A en croire Zucca, dans l'ensemble, il faisait bon vivre à Paris en ce temps-là ». L’exposition est accusée de présenter des images de propagande sans qu’aucun texte ne le précise. « Zucca était le correspondant français exclusif de Signal, un journal allemand édité par les nazis dans différents pays occupés. Ce n'est donc pas la vie des Parisiens sous l'Occupation qui est ici dévoilée, mais celle des Parisiens telle que les Allemands souhaitaient la montrer… Il y a là quelque chose de grave - et de dangereux - à exposer, sans aucune explication, ces tirages de propagande. Faut-il rappeler que l'objectivité en photographie n'existe pas ? » (Yasmine Youssi, le JDD, 30/03/08)

La journaliste laisse entendre, Zucca travaillant pour Signal, que les clichés présentés dans l’exposition ont été publiés ou du moins conçus pour ce magazine; l’intention du photographe semble donc claire : présenter une vue partielle et partiale de Paris, conforme à ce qu’en attendent les occupants. Ces images au premier coup d’œil insolites changent de registre avec cette information et deviennent, du moins la presse le clame, images de propagande.

Le journal qui pointe du doigt l’indigence des légendes de l’exposition demande alors à l’historien Marc Ferro de commenter quelques unes des images : si ces commentaires historiques teintés de témoignages personnels ont le mérite de contextualiser ces images par trop muettes, ils ne les analysent pas pour autant en démontrant leur stratégie propagandiste. Et les images de Zucca, en devenant illustration de textes thématiques (les transports, la difficulté de se nourrir, le port de l’Etoile jaune, la difficulté de rester coquettes…), perdent une partie de leur singularité tout en gardant une certaine opacité.

Pendant ce temps et assez rapidement, les critiques affluent à la Mairie de Paris, venus de visiteurs mais aussi d’historiens (Jean-Pierre Bertin-Maghi, historien de la propagande et Françoise Denoyelle, historienne de la photographie) et s’enflent sur Internet, via les blogs et les sites d’informations (Arrêt sur images, Rue 89).

Dans son blog du 7 avril, La République des Livres, Pierre Assouline parle d'une exposition qui «pose problème». Ce problème s'énonce en une seule phrase qui va être reprise inlassablement : l'exposition de la BHVP présente des photographies de propagande prises par un collabo.

Dès le 6 avril, la Mairie fait distribuer à chaque visiteur qui prend son billet une feuille d’avertissement où est précisée la partialité des images présentées. « Ce que nous donne à voir André Zucca est un Paris léger, voire insouciant. Il a choisi un regard qui ne montre rien, ou si peu, de la réalité de l’occupation et de ses aspects dramatiques ».

Une précision qui ne figurait pas dans la première version du texte de présentation qui se contentait d’insister sur la démarche « très personnelle » du photographe, sur l’aspect exceptionnel de l’utilisation de la couleur et sur le travail de restitution des couleurs, engagé par la Bibliothèque Historique. Dans le même mouvement, un panneau d’avertissement est installé à l’entrée de l’exposition, rappelant ce qu’était le journal Signal et quelle avait été l’attitude d’André Zucca pendant la guerre.

Par ailleurs, un texte de l’historien Jean Pierre Azéma, extrait de sa préface au catalogue de l’exposition et initialement affiché à l’intérieur de l’exposition est placé, lui aussi, à l’entrée. Il rappelle le contexte historique dans lequel ces photographies ont été prises.

On pourrait penser que l’affaire est close, que l’erreur pédagogique du commissaire d’exposition, Jean Baronnet et du conservateur de la Bibliothèque Historique, Jean Dérens – pour le moins insolite il est vrai - est rattrapée.




L’expo n’est plus à l’affiche


Mais il n’en est rien ! L’affaire est relancée le 17 avril, prenant un tour plus politique lorsque la Mairie de Paris décide de faire retirer des murs de Paris les affiches de l’exposition.

Manifestement, ce n’est pas l’image de l’affiche plutôt anodine qui pose problème mais bien l’exposition elle-même puisque trois jours plus tard, Christophe Girard, adjoint au maire de Paris chargé de la Culture, dans un entretien publié par Le Journal du Dimanche (du 20 avril), émet l’hypothèse de fermer l’exposition. Il explique cette décision par les "émotions" qui ont pu être ressenties et la "polémique" déclenchée par la manifestation. "Le titre (de l’exposition) ne nous plaît pas", ajoute t-il (Site rue 89, 18/04/2008).

"Je suis pour qu'on arrête cette exposition", affirme M. Girard, qui assure l'avoir découverte entre les deux tours des municipales, alors que, dit-il, il n'était pas encore en charge du patrimoine à la mairie. "Mais là, je peux vous dire qu'on va m'entendre", poursuit-il, affirmant qu'il avait quitté le vernissage "tellement l'exposition l'avait mis mal à l'aise" et qu'il avait "immédiatement compris la manipulation derrière de prétendues belles images", « des images qui font vomir » (JDD du 19/04/08).

Certains journaux amplifient l’affaire, « L'exposition d'André Zucca perpétue la propagande nazie » (Rue 89, le 18/04/08); en nous présentant « le rêve de Goebbels, celui d’un Paris occupé rayonnant du bonheur d’être une capitale tranquille sous la main douce de l’Allemand esthète, fidèlement représenté par Zucca ».

Mais c’est essentiellement contre les organisateurs que se déchainent les critiques, bien plus que contre les images même de Zucca qui sont déclarées images de propagande toujours sans être analysées ni étudiées en tant que telle (hormis la « fameuse » du Luxembourg, lire ci- après). « Cette exposition est coupable, non de montrer des images de propagande, mais, faute de toute distance et de toute contextualisation, d’en perpétuer, de fait, la propagande ».

Sont dénoncés dans l’article la minimisation par les organisateurs de l’exposition des rapports qu’André Zucca entretenait avec la propagande allemande et la faiblesse des légendes qui « oublient » de préciser des détails d’importance sur la période.

« Une légende énonce : La milice défile sur les Champs-Elysées et va aux Invalides prêter serment à Joseph Darnand, sans dire que ce dernier était le chef d’une force armée qui combattait la Résistance… Et lorsqu’une photo montre des personnes portant l’étoile jaune, aucune explication n’est donnée ».

L’article finit en s’adressant directement à la Mairie « Les responsables ne peuvent se réfugier derrière les qualités esthétiques de ces images pour justifier la façon dont ils les montrent. Nous souhaitons qu’avec la ville de Paris, qui a marqué ses distances avec cette exposition, s’engage un débat public avec les responsables, et que ces derniers s’expliquent sur le contenu politique de cette exposition ».

Le Maire de Paris effectivement réagit aussitôt, tout d’abord en démentant le 21 avril la fermeture souhaitée par son adjoint. Bertrand Delanoë affirme préférer maintenir l'exposition car "des historiens et des associatifs (lui) conseillent de ne pas ajouter une faute à des erreurs". Car arrêter l’exposition, ce serait revenir à l’interdire, même si précise le maire «l’arrêter serait un acte d’autorité non pas sur le contenu mais sur la méthode de présentation ». Finalement, après avoir souligné que des précisions historiques seront ajoutées, le maire de Paris explique qu'il "préfère jouer totalement la transparence" (Nouvel Obs.com, 23/04/08). Il demande que le texte d’avertissement placé à l’entrée de l’exposition soit à présent complété par l’historien Azéma.

« Après avoir suspendu la campagne d'affichage, démonté la bâche accrochée à la devanture de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, remonté un simple panneau indiquant la tenue de l'expo mais sans le titre, placardé un avertissement et distribué des notes explicatives (en français, en anglais et en espagnol), la Mairie de Paris multiplie les efforts, sans succès jusque-là, pour éteindre la polémique. Et ce n'est pas fini » (Site Rue 89, du 24/04/2008).


Le problème du titre


En effet, quelques jours plus tard, le 25 avril, on découvre que le titre de l’exposition a été modifié, (d’où la campagne de désaffichage). Il est vrai que Christophe Girard avait dès le début bien précisé qu’il n’appréciait pas le titre de l’exposition : « J’aurais préféré "Des Parisiens sous l’Occupation" ou mieux encore, "Sous l’Occupation". Mais c’est la liberté absolue du conservateur de la Bibliothèque historique, Jean Dérens, de choisir un titre, un thème d’exposition et un commissaire pour superviser sa réalisation » (Libération, 08/04/2008); « nous n'avons pas pour habitude d'intervenir. Mais là, franchement, c'est insupportable» (le JDD, le 19/04/08). On constate donc que, quinze jours plus tard, la liberté du conservateur est légèrement écornée : « Les Parisiens sous l’Occupation, photographies en couleurs d’André Zucca » devient «Des Parisiens sous l’Occupation : photographies et débats ». Le titre avait été effectivement critiqué parce qu’il faisait passer, par l’utilisation de l’article défini, les Parisiens de Zucca pour tous les Parisiens, suggérant implicitement que tous les parisiens s’étaient finalement pas trop mal accommodés de l’Occupation; ce que ne disent pourtant pas de façon univoque les photographies. De plus, ce « les Parisiens » pouvait laisser suggérer qu’une multiplicité de points de vue serait envisagée par l’exposition, ce qui n’est pas le cas, on l’a compris ! Ce « Des parisiens» avec sa marque de l’indéfini est moins direct, plus politiquement correct, il permet – du moins doit ainsi le penser l’équipe municipale- de rester dans un certain flou. Personne ne peut ainsi se sentir directement concerné par le regard de Zucca (les parisiens n’étaient pas tous d’heureux collabos) ; il permet de souligner que d’autres parisiens, les cachés, les raflés, les résistants, ceux que ne montrent pas Zucca, existaient aussi. On remarque aussi au passage qu’avec ce changement de titre, la mention du nom de Zucca est passée à la trappe. On en arrive à cette absurdité: une exposition exclusivement conçue à partir des travaux d’un photographe ne porte pas son nom…

Enfin, le site de la Mairie de Paris parle d’un « renforcement du dispositif d’informations des visiteurs, suite aux réactions suscitées par l’exposition ». Malgré le caractère « musclé » de l’expression, il s’agit d’améliorer (encore et encore) la contextualisation de l’exposition et d’engager une réflexion sur la photographie comme témoin de l'Histoire.

"Nous allons réécrire un certain nombre de légendes, développer le panneau d'avertissement et organiser des débats avec des historiens et des associations de défense des droits de l'homme." (Bertrand Delanoë, Site Rue 89, du 24/04/2008).

Les thèmes des débats prévus en mai sont explicites et soulignent bien tous les problèmes soulevés par l’organisation (cafouilleuse) de cette exposition : Comment exposer la photographie ? La photographie est- elle un bon témoin de l’Histoire ? Qu’est ce qu’une image photographique ? Vérité des images, vérité de l’histoire. Comment les journalistes regardent-ils la photographie ?

Enfin, à partir du 30 avril, des visites commentées de l’exposition sont organisées deux fois par semaine par les conservateurs.


Finalement le succès !


"Expo Zucca : La polémique enfle, les visiteurs affluent" Rue 89, 24/04/2008.
La déclaration de Christophe Girard concernant une éventuelle fermeture de l’exposition a joué comme une magnifique promotion de l’exposition, le public s’est empressé d’aller voir ce qu’il en était de ces images controversées avant qu’elles ne disparaissent éventuellement de l’espace public. « 12 000 visiteurs depuis le 20 mars dont 1000 chaque jour depuis peu. Au départ, le pic était largement atteint à 500». Mais depuis, la Bibliothèque ne désemplit pas !

Il est probable que si on avait vanté les vertus pédagogiques de cette exposition dès son ouverture, elle aurait eu nettement moins de succès…

Enfin, dernière nouvelle, le catalogue de l’exposition édité par Gallimard est introuvable dans les librairies comme sur le net, indisponible chez l’éditeur… Je ne sais toujours pas si c’est imputable à une rupture de stock (qui confirmerait l’intérêt du public initié par l’exposition) ou à un changement de ligne éditoriale de Gallimard (une réédition plus conforme, avec un nouveau titre) ? Auquel cas, les heureux acquéreurs de la première heure ont d’ores et déjà un livre collector…

Il est à craindre ou à espérer–c’est selon- que dans l’avenir la Mairie de Paris ne surveille ou ne prépare –c’est selon- davantage les expositions dont elle est responsable.

« Il y a eu un défaut en amont et plus jamais la Mairie ne laissera faire une exposition de ce type dans de telles conditions, c’est-à-dire sur un sujet aussi grave, sans l’apport fondamental d’un comité d’experts » (Delanoé, Libération, 21/4/08). « Cette mini-tempête devrait aussi être la bonne occasion de reposer quelques questions sur la politique des expositions organisées par la Ville de Paris, qui cèdent parfois à un air du temps privilégiant la logique événementielle et spectaculaire au détriment d’un travail de réflexion. » (Libération, 21/4/08).

« Le dernier enseignement de cette polémique est le brutal retour de réalité, inhérent à la photographie, que prennent dans la figure les organisateurs de l'exposition... La photographie, par son étrange rapport au réel, est une chose aussi vivante qu'une grenade qui peut exploser à tout moment ». (Le Monde, 26/04/08). Pour ceux qui s’inquièteraient du sort que la Mairie, très énervée par cet affaire, a réservé à son conservateur fautif d’un accrochage « paresseux », qu’on se rassure, il partait à la retraite le 27 avril…

En attendant, si on n’est pas parisien, où peut-on peut voir les photos de Zucca ?

-Le Monde 2, n°213 du 14 mars 2008, portfolio de 11 images

-l’Express n°2963 du 17 avril 2008

-Le site « Arrêt sur images », une émission consacrée à la polémique et un diaporama des images de Zucca

-Le site de 20 minutes.fr, un diaporama de 11 images

-Le site videos.lefigaro.fr

Et pour compléter, comparer, contrebalancer par un choix très important d’images de Paris (en noir et blanc) sous l’occupation : www.parisenimages.fr et le site de l’INA avec des vidéos en accès libres sur le sujet.

Des Parisiens sous l'Occupation (2/3)





Que révèle cette polémique sur notre rapport à l’image et à la période de l’Occupation?

La question de l’intention du photographe

La première critique avancée est que la BHVP n’a pas souligné assez fermement la position de collaborateur de Zucca. Et le premier débat qui s’est engagé a tourné autour de la nature des relations que Zucca entretenait avec les occupants. Etait-il requis, comme le dit sa fille et sa biographie sur le site de la mairie de Paris ? Réquisitionné ? Ou travaillait-il de son plein gré pour les Allemands, comme l’affirme M. Baronnet, commissaire de l’exposition : « Zucca n’a donc pas été réquisitionné, il a travaillé de son plein gré pour Signal, c’était incontestablement un collabo » (Libération, 08/04/2008).

Au-delà des bribes d’informations biographiques que la presse révèle sur Zucca, c’est la question de l’intention qui est au cœur du sujet. Quelle est l’intention de Zucca quand il prend ces clichés ? Les prend-il pour les publier dans Signal et répondre à l’injonction de Goebbels de présenter une capitale gaie, vitrine d’une stratégie destinée à gagner les élites dans « l’Europe nouvelle » ?

Là, tout le monde paraît d’accord : aucun cliché couleur de Zucca n’a été publié dans Signal, « comme si Zucca avait réservé la couleur à des sujets hors commande » (billet d’avertissement de l’exposition). Par contre, les photographies d'André Zucca publiées dans Signal, toutes en noir et blanc, sont « des reportages consacrés à la LVF (Légion des Volontaires français), aux destructions des bombardements alliés ou au retour des prisonniers libérés par Hitler. Ces clichés-là ne tolèrent aucun doute : André Zucca met bel et bien ses compétences au service des Allemands » (Nouvel Obs, 17/04/08). Alors, distinction faite avec les clichés vendus à l’occupant, qu’en est-il de ceux-ci ? A qui ou à quoi étaient-ils destinés ?

En observant ces images, on en vient assez vite à penser que Zucca ne se pose pas plus en reporter du IIIème Reich qu’en témoin objectif à tendance historienne mais plutôt en simple promeneur parisien. Il prend ses clichés avec sa sensibilité toute pro-allemande bien sûr, en « esthète germanophile » qu’il est (site de la mairie de Paris). « Il n’avait pas le projet de rendre compte d’une réalité globale à multiples facettes, de circonscrire une période, ce n’est pas un travail de reporter. C’est son Paris à lui. Un parmi d’autres ». (Laurent Gloagen, blog Embruns).

Et on peut même aller plus loin : il semble que ce qui guide véritablement Zucca, c’est son seul et unique intérêt pour la photographie et que son point de vue n’engage que lui et lui seul. « Zucca s’amusait avec ses photographies, cherchant le détail humain… Individualiste effréné, l’essentiel, la seule chose qui comptait pour lui était de photographier » (Jean Dérens, conservateur de la BHVP, interview de TF1 du 21/04/08).

Et peut-être peut-on même le soupçonner de ne faire ces photos que pour tester les capacités techniques de son appareil 24/36 Leica et surtout expérimenter le magnifique joujou que sont ces pellicules Agfacolor, invention allemande grande concurrente de la Kodacolor américaine et quasi introuvables à cette période. Fournies probablement par les allemands grâce à sa collaboration à Signal, ces pellicules font de lui un photographe privilégié, le seul Français a priori à pouvoir en disposer. « Ces photographies relèvent d’une démarche très personnelle, fruits de longues promenades à travers Paris, que Zucca parcourt en tous sens. Il semble poursuivre la réalisation d’une œuvre, en utilisant une technique nouvelle, la couleur, et en donnant ainsi le sentiment de ne pas se préoccuper de ce que vivent par ailleurs les Parisiens » (site de la Mairie de Paris).

Jean Baronnet, dans l’introduction du catalogue d’exposition le situe même dans une démarche artistique identifiée : « Les photos de Paris par André Zucca ont une parenté avec un genre littéraire connu, celui du « promeneur-conteur » parisien : Restif de la Bretonne, Privat d'Anglemont, André Billy, Apollinaire, Léon-Paul Fargue, Philippe Soupault et bien d'autres. Ces photographies ne sont pas dues à un reportage ou à une commande ; elles sont simplement le produit d'une déambulation créative qui s'exprime par la photographie ».

Les intentions que l’on peut prêter à Zucca peuvent être de nature et de degrés différents et nous invitent à des lectures diverses voire contradictoires de ses images suivant la grille d’intentions qu’on leur applique. (cf. photo de Pétain)

Il est intéressant de mesurer combien dans cette polémique autour de l’exposition, c’est l’intention propagandiste du photographe qui a occupé l’essentiel des débats, masquant ou déformant l’analyse et la réception qu’on a de ces images, nous éloignant d’elles finalement. A trop vouloir appliquer la grille de la propagande, à cause du manque de contextualisation certain des organisateurs de l’exposition, on en arrive à ne vouloir voir ces images, à ne les cadrer que dans cette perspective. Or, il apparaît que ces images même si elles sont prises par un collaborateur ne sont pas pour autant de strictes images de propagande, faisant l’éloge de l’Occupation. Les intentions supposées de Zucca font obstacle d’une certaine façon à l’analyse même de ses images.

« La préférence de Zucca pour les beaux jours ensoleillés s'expliquerait techniquement : lentes, les pellicules auraient exigé une forte lumière. "Ce qui est impressionnant, c'est la prouesse technique du photographe", commente Jean Dérens. Prouesse technique ou non, ces images peuvent vite devenir odieuses. Zucca est arrêté en octobre 1944. Son dossier classé, il se retire à Dreux et se fait photographe de mariages et de fêtes». (Le Monde; 11/04/08)

Le raccourci utilisé par le journaliste (Philippe Dagen) me paraît pour le moins malhonnête, on passe « d’images odieuses » (sans savoir vraiment en quoi elles le sont) à « Zucca est arrêté en 1944 » ; en tant que lecteur et observateur d’images, pouvons-nous nous contenter que l’évidence de l’odieux des images soit toute entière contenue dans le fait que Zucca soit un collaborateur avéré ? Les mauvais choix politiques de Zucca n’enlèvent rien au caractère documentaire et historique de ses images. Si l’on considère ces images comme des témoignages, des captures du réel à un certain instant, ce ne sont que des documents à analyser, avec toute la distance et la contextualisation nécessaires.

Il n’est pas question de minimiser ici l’implication de Zucca dans la collaboration mais de pointer du doigt qu’une grille de lecture tend à vouloir faire dire à une image ce qu’elle ne dit pas forcément… On a insisté sur le caractère riant de ces images, que la couleur amplifie, sur ces femmes chapeautés qui déambulent à Longchamp, sur ces enfants qui jouent au Luxembourg ou sur l’esplanade du Palais de Chaillot, sur les terrasses de café bondées, sur un agréable Paris occupé où « La Propaganda Staffel n’aurait probablement rien trouvé à redire » (billet d’avertissement de l’exposition). Mais que l’on regarde de plus près d’autres images où l’on voit une foule pressée, visages fermés, regards fuyants, ces rues désertes, ces soldats allemands à l’uniforme chiffonné marchandant au Marché aux Puces de St Ouen, la liesse est loin d’être générale et l’image de l’occupant loin de celle du glorieux aryen… Les images de Zucca issues de ces promenades, « traces étranges du travail d’un photographe au parcours ambigu » (site de la Mairie de Paris) sont intéressantes parce qu’elles ne disent pas une seule et unique chose comme beaucoup s’acharnent à vouloir le dire. Si certaines révèlent une certaine mise en scène et une propagande discrète, d’autres sont de purs instantanés de scènes de rues où les détails ont leur importance, où ce qui est caché est aussi important que ce qui est montré, d’autres encore restent étranges ou difficiles à interpréter, à l’opposé des opinions politiques probables de Zucca. En aucun cas, elles ne peuvent être reçues que comme des images univoques que sont les images de propagande. La vraie question serait de se demander : que regardons-nous dans cette exposition, que voulons-nous y voir (ne pas y voir) ?

De la difficulté d’exposer la photographie

Tous les journalistes, politiques et bloggeurs se sont enflammés au gré des rebondissements liés à l’organisation de l’exposition, taxant les uns de faire œuvre de propagande en omettant de donner des grilles de lecture soit disant évidentes (la photo au service de la propagande) alors qu’elles ne le sont pas, tandis que les autres d’affirmer que le public est assez intelligent pour comprendre qu’une image doit être interprétée librement par chacun, avec sa propre culture. En bref, deux positions se sont âprement affrontées concernant le statut de l’image photographique et de son exposition au public.

Les organisateurs ont maintenu leur parti pris de justement ne pas en avoir par rapport aux images : les photographies n’ont pas besoin de commentaires autres que les références essentielles (auteur, lieu, date). Interviewé par TF1, le conservateur de la BHVP, Jean Dérens affirme : «Notre propos était de donner ces documents, qui sont des documents incontestables, bruts, non trafiqués et de laisser le public les interpréter ». Le conservateur rappelle que Zucca était connu pour avoir collaboré avec les nazis, et remarque : « S’il y a des visiteurs qui ne sont pas au courant de l’état de la France sous l’Occupation, c’est triste ; mais cela ne signifie pas qu’il faille tout réexpliquer à chaque fois» (Journal des Arts, artclair.com, 24/04/2008).

«Le rôle de la BHVP est de mettre à la disposition du public des documents sur l'histoire de Paris. Ces photos de Zucca étaient connues des historiens de l'Occupation (…) Nous ne sommes pas une institution pédagogique. Quand vous vendez L'Être et le Néant, vous ne vendez pas une notice avec » (Le Figaro, 22/04/2008).

Jean Baronnet, cinéaste, commissaire de l’exposition à qui l’on reproche de ne pas avoir consulté pour son projet, ni Françoise Denoyelle (historienne, auteur de la Photograhie d’actualité et de propagande sous le régime de Vichy) ni les auteurs concernés du premier projet Zucca (projet d’une exposition plus importante et complète sur Zucca mêlant clichés noir et blanc et en couleurs), affirme que "surinformer les visiteurs, c'est les prendre pour des imbéciles" (Le Monde, 24/4/08).

L’autre position, c’est celle de la Mairie de Paris, qui de façon un peu ridicule dans la surenchère, s’efforce de rattraper le manque de pédagogie initiale et par là même d’atténuer ces allégations exagérées qui suspectent la BHVP de faire du révisionnisme et d’entretenir une nostalgie pétainiste.

Ainsi, on perçoit que deux façons d'exposer la photographie s’affrontent. Pour les uns, les images se suffisent à elles mêmes, il faut les laisser parler, pour les autres, il faut aider à leur décryptage. « La position première s'inscrit dans une logique picturale, en voulant raccrocher la photographie au wagon des beaux-arts. Comme un tableau au mur, l'image doit conserver sa part de mystère et d'ambiguïté» (Le Monde, 26/04/2008). Mais cette position contemplative est de plus en plus écartée par les historiens de la photographie et par les responsables d'expositions. Car les images sont trop souvent orientées au gré des enjeux politiques, économiques et techniques.

Le Nouvel Obs du 17/4 relève que curieusement, « alors que 45 photos de Zucca appartenant à la même série ont été présentées en décembre 2007 dans le cadre de l'expo «Paris en couleurs» sans susciter le moindre remous, celles-ci provoquent la polémique ».

On voit bien que c’est le contexte et le titre de l’exposition qui posent problème. Paris en couleurs, c’est l’angle esthétique qui est mis en avant, Les Parisiens sous l’Occupation, c’est l’angle historique qui prime. Or, on attend de l’historien un projet lisible dans le choix des documents qu’il propose et organise. C’est bien ce projet qui est ici contesté. On ne peut vouloir présenter l’Occupation que par le seul angle de Zucca sans un minimum de réserve ou d’explications.

« Aucune exposition n’est objective. Avant d’être une présentation mise en scène, elle est précédée et soutenue par un discours, une idée. Dans le cas des «Parisiens sous l’Occupation», le moins qu’on puisse dire, c’est que le propos est trouble, et le discours, sous sa parure d’innocence plus ou moins inconsciente, contestable » (Libération, 21/04/08).

Il est certain qu’en raison même du contexte des prises de vues, la période tourmentée de l’Occupation et de la qualité du photographe Zucca, collaborateur, cette exposition « exigeait davantage de doigté que n’importe quelle autre exposition photographique » (Pierre Assouline, blog) et sûrement plusieurs clés d’entrée.

Mais il n’en reste pas moins qu’en cherchant à tout prix maintenant à éclaircir les intentions des organisateurs et à les dissocier de celles de Zucca, on en vient à plaquer des grilles de lecture qui sont loin d’être adéquates aux images présentées.




La photographie, un bon témoin historique ?

L’Express du 16 avril rappelle que si ces clichés nous dérangent tant, nous font ressentir un malaise, ce n’est pas uniquement qu’ils ont été présentés « sans pincettes », c’est aussi parce qu’ils se heurtent à notre culture iconographique de cette période de l’histoire.

D’abord, les années noires ont du mal à être vues en couleurs. La couleur plus descriptive et moins symbolique que le noir et blanc, nous rapproche étrangement de cette période, nous rendant les choses, les lieux et les gens plus présents et plus réels, abolissant la distanciation naturelle que nous avons par rapport aux images connues de cette époque.

Ensuite, que nous montrent ces images ? Des gens qui vaquent à leurs activités quotidiennes ou qui se divertissent en allant au cinéma ou à la pêche. Elles nous disent que la vie continuait et que parfois même, on cherchait à s’amuser.

« Mais surtout parce qu’ils nous confrontent à une capitale ensoleillée, aux terrasses bondées, où les bourreaux vert-de-gris semblent faire partie d’un paysage à la Prévert. Que ce « gai Paris » ait coexisté avec les rafles et les fusillés du mont Valérien est l’un des derniers tabous de notre mémoire collective ».

Ces clichés nous invitent à penser, au-delà du malaise suscité, au rapport que nous entretenons, individuellement et collectivement, à la collaboration et à la France de Vichy, celle qui a aidé l’Allemagne d’Hitler. Manifestement nous n’avons pas réglé de façon claire cette période et son héritage historique. Car enfin, ce que les photos de Zucca révèlent, ce n’est pas la présence glorieuse de l’occupant mais bien la petitesse et les faux semblants de cette vie sous la république de Vichy.

La polémique autour de cette exposition, ce pourrait être le résidu du "syndrome de Vichy" diagnostiqué par Henry Rousso, historien spécialiste de la période tout autant que de l’histoire de la mémoire de Vichy. Ce syndrome est l’ensemble de manifestations qui révèlent l'existence du traumatisme engendré par l'Occupation et manifeste la difficulté qu'a la France à assumer un passé connu, « un passé qui ne passe pas »

«L'insupportable avec "Vichy", ce n'est pas tant la collaboration ou le crime politique organisé que ce qui fut au fondement même de l'idéologie pétainiste et qui eut, un temps, les faveurs du plus grand nombre : la volonté de mettre un peuple tout entier hors de la guerre et le cours de l'histoire entre parenthèses » (Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas)

Vouloir mettre le cours de l’histoire entre parenthèse, c’est peut-être ce que fait Zucca avec ses photos et ce Paris « un peu vide mais serein, quasiment hors du temps. » (présentation du catalogue, Gallimard).

Le plus frappant chez Zucca, c’est bien ce Paris hors du temps. De nombreuses scènes sont indatables tant elles sont anodines et ne portent aucune marque de la période de l’Occupation. Elles pourraient illustrer les années 50, voire même les années 60 : les filles en maillots de bain deux pièces en train de bronzer sur les bords de Seine (Paris-Plage avant l’heure), des enfants qui jouent… Zucca choisit des scènes banales de rue ou de divertissement pour décrire une période où les évènements dramatiques à saisir ne manquaient pas. Mais c’est justement ce regard détourné de l’évènement qui finalement fait l’intérêt de ce photographe, « c’est le paradoxe d’une esthétique de la paix en temps de guerre… Une leçon magistrale de déni » (Michel Poivert, Vite Vu, blog de la société française de photographie, 24/04/08).

On peut déceler chez Zucca le parti pris de montrer le non-évènement, de le construire image après image et d’approcher une certaine ambiance qui finalement reste flottante, ambivalente. Car si certaines photos ne disent rien d’autre que ce non-évènement, d’autres échappent à ce projet et ne peuvent s’empêcher de trahir l’époque bien plus peut être que ne le souhaitait Zucca. Et l’ensemble produit cet effet d’entre deux ambigu.

Les photos de Zucca sont à l’inverse de bien des photos de reporters : elles ne montrent pas de fait dramatique, elles ne rapportent pas une scène et elles évitent toute émotion, tout message symbolique ou allégorique. Elles recherchent un effet de pris sur le vif, de l’instantané (alors que certaines ont sûrement été composées), elles n’enferment pas les sujets dans des compositions cadrées mais jouent souvent sur des hors champs actifs (les personnes traversent le champ et sont souvent coupées), laissant sous entendre que la scène est bien plus vaste que ce que le photographe nous montre. Mais lui justement choisit cet angle comme s’il laissait le hasard choisir et les personnes librement déambuler.

Très peu de personnages regardent en direction de l’objectif, ils sont souvent pris de dos, comme à leur insu ou s’adonnant à des activités absorbantes. On a en retour l’impression étrange que le photographe n’existe pas, qu’il est comme absent, tant il ya peu de signes de sa présence. Tant par ses cadrages qui ne cherchent rien de précis que par le peu de cas que font les photographiés de sa présence. Se cachait-il ? Les photographiés trop absorbés ne le remarquaient –ils pas ? Ou n’avaient-ils pas envie de le voir ? Cette absence de regards échangés entre photographiés, entre eux et avec le photographe, donne une impression d’absence, de fuite, d’évitement entre les personnes. C est peut-être cela que ces photos rendent compte le mieux, de cette espèce d’indifférence et de « complicité passive, avec ce que ces années noires pouvaient avoir d’inhumain » (Bruno Modica, www.clionautes.org, cf note).

Note :

Bruno Modica, agrégé d’histoire, propose et développe sur le site www.clionautes.org un ensemble de questions pour des élèves qui travailleraient à partir des images du catalogue de l’exposition, questions sur les transports, les petits métiers, le ravitaillement et la vie quotidienne sous l’Occupation puis « À l’aide des documents présentés et de vos connaissances, vous essaierez de présenter l’état d’esprit des parisiens pendant l’occupation en montrant la part de subjectivité liée au travail du photographe. »

Des Parisiens sous l'Occupation (3/3)


Jardins du Luxembourg, mai 1942

C’est cette photo de Zucca qui est au cœur de la polémique autour de l’exposition, une photo probablement préparée, avec une certaine mise en scène.

Comme le souligne Laurent Gloagen (Site Embrun), la présence même des lunettes à montures blanches que possède la jeune femme entre ses mains et que l’on retrouve parant trois jeunes femmes d’une autre photo dans le même jardin du Luxembourg serait un indice de ce montage, les demoiselles qui servent de "modèles » sont peut –être des amies du photographe ?

Sur cette image, on remarquera la présence de Signal, le magazine allemand pour lequel travaillait Zucca, habilement mis en valeur par le photographe. La ligne de composition de l’image, la diagonale soutenue par la jambe oblique de la jeune fille, pointe vers le magazine nonchalamment posé sur la chaise au premier plan, glissé sous le sac de la jeune fille. Le tout légèrement valorisé par un cadrage en plongée.

Image du bonheur souriant d’un couple dans les jardins du Luxembourg en 1942 mais aussi image de promotion du journal de l’occupant, bonheur privé et bonheur national se rejoignant dans une apparente et badine simplicité.

Force est de constater que la propagande est néanmoins discrète, que la promotion du journal ne se clame pas haut et fort (la magazine à la main par exemple), et qu’elle n’a de sens que pour qui saura remarquer et identifier le journal, la discrétion faisant aussi probablement toute sa force.

Ce qui a du sens pour un spectateur de 1942, mais pas forcément pour un spectateur de 2008, lui n’avait pour information que ce laconique cartel : « Jardins du Luxembourg, mai 1942 ». On voit sur quoi une partie de la polémique a porté.


Expo Zucca : Contextualisation ?

La contextualisation invite à appréhender un document en fonction de ce que nous savons (de par notre expérience et/ou de ce qu'on nous en a dit/enseigné) des conditions de sa réalisation et, au delà, de la personnalité même de son auteur. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, nous savons que les photographies d'André Zucca ont été prises, à Paris, en couleurs, durant l'Occupation : l'affiche nous le dit (prudence cependant, puisque Les Parisiens sous l'Occupation de l'affiche originale ne sont plus que Des Parisiens, désormais. Pas tous. Juste quelques uns. Sous-entendu désagréable : les autres avaient pris le maquis ou sabotaient des voies ferrées). Partons du postulat audacieux que nous savons également, en gros, ce que recouvre le terme d'Occupation (files d'attente, déportations, terreur, humiliation, marché noir...) et que nous jouissons optionnellement d'un niveau d'alphabétisation suffisant pour déchiffrer les légendes des clichés (optionnellement, car Une jeune cycliste... sous la photo d'une... jeune cycliste, par exemple, ça ne contextualise pas énormément. Pas plus que Lieu de sortie : le zoo de Vincennes, Les soldats allemands profitent d'une permission ou Les chapeaux foisonnent sur l'hippodrome... Les cartels, nous dit-on, ont, eux aussi été modifiés. Un nouveau feuillet d'explication est, par ailleurs fourni à l'entrée. Contextualisation, quand tu nous tiens).

Fourbissons encore nos armes et prenons nos renseignements sur ce Zucca (voir billet Une brève biographie d’André Zucca), artisan assez obscur, en vérité et si peu controversé qu'une partie des clichés présentés aujourd'hui à la BHVP l'ont été jusqu'au 31 mars de cette année, à l'Hôtel de ville de Paris, dans le cadre de l'exposition Paris en couleurs sans provoquer le moindre emballement, la contextualisation dépendant, elle aussi, du contexte.

Forts de ces informations, nous visitons l'exposition Des parisiens sous l'occupation. 270 photographies d'André Zucca, collaborateur notoire, germanophile avéré, et employé à Signal, magazine de propagande nazie. Que voyons-nous ? Des gens qui vaquent, généralement sous le soleil. Des croix gammées, rue de Rivoli, des soldats vert-de-gris dans la foule, à l'étal d'un marchand, aux Puces de St Ouen ou défilant, très seuls et un peu ridicules au milieu d'un boulevard désert. Des terrasses de cafés bondées, avenues vides, rue grouillante. Beaucoup de regards qui s’évitent et évitent celui du photographe. Des visages fermés, soucieux ou souvent, curieusement hors cadre. Ici, le sinistré d'un bombardement tire une charrette de meubles et d'effets, là, une femme porte l'étoile jaune... Un peuple défait. Mais aussi, ambivalence déconcertante, les gambettes des promeneuses, les sorties de cinéma, les élégantes et les nantis oisifs... Des vélos taxis, des enfants en patins à roulettes... Des jeunes filles qui posent, des sourires, des amoureux, des cerises... Quelques mises en scène évidentes. Telle celle où apparaît un bout de la couverture du magazine Signal. Propagande ? Non ; ce cliché, pas plus que les autres, n'a été publié. Ce Paris-là, s'il ne nous dit rien, expressément, de la souffrance, de l'oppression, de la misère, du rationnement, ne respire certes pas pour autant l'insouciance ou la gaieté. La couleur et le grand soleil peignent et éclairent ce qu'il est convenu d'appeler les années sombres. Propagande ? Non : Une contrainte liée à la pellicule utilisée par Zucca. D'une sensibilité extrêmement faible, elle le condamnait aux prises de vue extérieures et par grand beau temps. La couleur n'allège d'ailleurs en rien l'ambiance, mais la plomberait plutôt, par son caractère terriblement réel et familier. Tout est cru et semble plus vrai, plus proche. De vrais gens ont vraiment vécu, bien ou mal ou ni l'un, ni l'autre, ou et l'un et l'autre, l'occupation allemande à Paris. Juifs ou non, riches ou pauvres, qu'ils posent ou passent, et jusqu'aux soldats allemands, clope au bec, pas très frais, ni très aryens, ni très triomphants. Pas de spectacle, pas de symbole, pas d'expressionnisme, ni d'allégorie. Pas de noir et blanc, en somme.

Si un procès en propagande doit être intenté à Zucca, ce ne peut être, décidemment, qu'un procès d'intention. Car il ne dit rien. Rien de ce que l'on voudrait entendre et rien non plus de ce que l'on ne veut pas entendre.

Ce vieux monsieur qui se promène débonnairement dans la rue, rien ne le distingue de n'importe quel autre promeneur débonnaire, si ce n'est l'étoile jaune cousue à son veston. Zucca l'a-t-il seulement vue ? On en douterait presque... Et s'il l'a vue, qu'a-t-il voulu dire ? A-t-il voulu dire quelque chose ? Pour nous qui connaissons la fin de l'histoire, ce témoignage involontaire est inestimable, unique : voilà ce que le plus indiffèrent, le plus désinvolte, peut-être, en forçant le trait, le plus collabo des photographes voyait dans la rue, à Paris, sous une occupation allemande qui ne le gênait pas : un vieux monsieur qui se promène mais, déjà, une sorte de fantôme, marqué au coeur du signe jaune de sa propre fin.

L'idée que ces clichés puissent être autre chose que les instantanés d'un promeneur désengagé (et d'un professionnel passionné et ravi de jouer avec du matériel rarissime), un peu timoré, peut-être et peut-être, sans doute, pas très bolchevique, ni philosémite peut, et doit, bien sûr effleurer l'esprit. Ainsi que l'idée qu'il se pourrait bien après tout qu'ils ne fussent que cela. En y regardant de plus près, il apparaît que Zucca est aussi un artiste, un possible anarchiste de droite, pas forcément vichyste (ces photos peuvent aussi nous dire cela. Voir billet Pétain en vitrine) dont le propos n'est pas ici de militer, qui détourne sans doute souvent l’objectif de son Leica de souffrances ou d’exactions trop voyantes, mais qui, pour autant, ne manipule pas la réalité du quotidien qu'il a choisi de fixer. L'aspect le plus déplaisant de cette polémique, outre qu'elle semble avoir pour origine de basses intrigues de couloirs et qu’elle nous prend volontiers pour des imbéciles (commentaire plaisant d'un internaute à propos d’un article du Monde 2 : « Et dire que j'ai failli croire qu' en 1943, les parisiens se prélassaient tous au soleil. »), est qu'elle oblitère en partie le témoignage historique, pourtant valide et pertinent, que véhiculent les images de Zucca, sans parler de leur valeur artistique. Avec ou sans contextualisation.

Expo Zucca : Pétain en vitrine

S’il on a beaucoup commenté certains clichés de l’exposition Des Parisiens sous l’Occupation, qu’ils semblassent accabler ou blanchir leur auteur, il en est un qui, assez curieusement, est passé (presque) inaperçu : la vitrine d’une boutique de chaussures pour dames au beau milieu de laquelle, entre les modèles de la collection d’été, trônent le portrait du paterne Pétain et une affichette informant le chaland de la nature libre de la vente des articles exposés. Cette image, par le contexte de son époque et la lecture qu’on en peut faire aujourd’hui, surtout dans le cadre polémique de l’exposition dont nous parlons, mérite qu’on s’y attarde, car elle se prête complaisamment aux interprétations les plus contradictoires.

S’il est vrai qu’aucun photographe (de semaine ou du dimanche) ne saurait résister à la tentation d’immortaliser les juxtapositions insolites, la unions improbables, le choc de réalités contrastées, alors cette photographie est, peut-être, tout simplement, une bonne blague. Qu’est-ce qui est en vente libre ? Le maréchal ? La France ? Et vendu à qui ? Aux allemands, bien sûr. Une blague teintée de subversion potache ou d’un véritable sentiment anti-vichyste. André Zucca ne serait pas le seul collaborateur germanophile à n’avoir eu aucune sympathie pour Pétain et sa clique.

La même interprétation d’une France vendue à l’ennemi par son chef, peut aussi, bien entendu, se lire sans filtre et sans humour. Ce cliché devient alors clairement militant. De vente libre à France libre, il n’y a qu’un pas que toutes ces chaussures nous proposent peut-être de franchir. En fixant telle quelle une composition d’objets, agencée par un commerçant dans une intention on ne peut plus loyale au régime, le détournement de sens est d’autant plus efficace. La même photo signée de Doisneau serait sans doute interprétée ainsi.

Il se trouve aussi que la représentation faite ici du héros de la Grande Guerre, tout entouré d’articles à la fois triviaux et frivoles, de chaussures de femmes, de présentoirs et d’étiquettes, est, tout uniment, ridicule et pathétique.

S’il est, en effet, ardu de voir dans cette sorte d’oxymoron graphique, un hommage quelconque à la gloire du Maréchal, on peut malgré tout s’y risquer. Le Père de la Révolution Nationale rétablit la vente libre (c'est-à-dire sans ticket de rationnement) sur un certain nombre de produits, et pas seulement de première nécessité. L’élégance voire la coquetterie, sont toujours de mise dans le Paris occupé, preuve que tout ne va pas si mal. Le vieux soldat, chaud lapin notoire en ses folles années de jeunesse semble au reste, fort bien s’accommoder de la compagnie de ces articles à forte connotation érotique, mais c’est sans doute aller un peu loin…

Le cadre et les lettres de l’affichette, les ongles vernis des pieds-mannequins ainsi que, pour les plus observateurs, les semelles et talons de la paire de chaussures la plus chère (135 contre 127 Francs pour toutes les autres) sont rouges. Un nombre élevé – significativement élevé, des clichés en couleurs de Zucca est ainsi très artistiquement et très consciemment composé autour d’éléments rouges qui, tranchant sur un environnement désaturé, attirent le regard. D’aucuns y ont vu un message discrètement résistant, certains, au contraire, le rappel incessant des couleurs du drapeau nazi et de la charte du magazine Signal, d’autres, enfin, la patte esthétisante d’un véritable artiste.

Il reste, sans plus d’analyse, et quelles qu’aient pu être les intentions d’André Zucca (s’il en avait) que le mot Libre résonne ici étrangement…

Expo Zucca : un brève biographie

1897 : Naissance d'André Zucca, à Paris. Il est le fils unique d'une couturière piémontaise et d'un père qui ne le reconnaîtra pas.

1911-1915 : Il vit avec sa mère à New York.

1915 : Il s'engage dans l'armée française. Blessé et reformé, il reçoit la croix de guerre.

1916-1938 : il devient photographe et travaille pour le journal de théâtre et de cinéma Comœdia.
Il se marie en 1933 avec un comédienne. Entre 1916 et 1934, il est condamné plusieurs fois pour recel ou vol. En 1935-1936, il réalise son premier grand reportage et parcourt l'Italie, la Yougoslavie et la Grèce. Il s'intéresse (en Yougoslavie, notamment), aux diversités culturelles et religieuses. En 1937, l'aventure continue. Il s'embarque pour le Japon via le canal de Suez à bord d'un vieux cargo et revient par la Chine et l'Inde, puis se rend au Maroc. Il vend ses photos à Paris Soir, Match, Life, Picture Post. Il ne fera partie d'aucune école et ne se mêlera jamais de mondanités artistiques. Absent des revues qui comptent (Document, Arts et Métiers graphiques...) comme des expositions cruciales (l'Exposition Internationale du musée des Arts décoratifs en 1936), des débats esthétiques (groupe Alliance-photo) comme des innombrables salons où l'on théorise, il ne prend aucune part au bouillonnement artistique de l'entre deux guerres.

1939-1940 : Attaché au services de renseignement et correspondant de guerre, il part couvrir les combats de l'armée finlandaise sur le front de Carélie. Début 1940, en France, il fait équipe avec Joseph Kessel pour Paris Soir.

1941-1944 : Il devient correspondant du journal allemand Signal. Réquisitionné, requis ? On ne sait. En tous cas, il obtient une carte de presse, un laissez-passer et un salaire confortable. Il reçoit également des autorités allemandes le film inversible Agfacolor 16 ASA, en rouleaux de 36 vues, concurrent du Kodacolor américain. Les clichés qu'il prendra sont, avec ceux du soldat allemand Walter Diezner, le seul témoignage en couleurs du Paris de l'Occupation. Signal ne publiera aucune de ces photos. Zucca semble n'avoir fait de l'Agfacolor qu'un usage personnel et expérimental. En revanche, il couvre pour le bimensuel nazi (et en noir et blanc) tous les événements importants : visites officielles, grandes messes collaborationnistes (meeting du Parti Populaire Français au Vél’d’Hiv, 8 août 1943), les discours publics (Jean Hérold-Paquis, 6 septembre 1943), les commémorations (obsèques nationales de Philippe Henriot, 1er juillet 1944), les bombardements (Boulogne-Billancourt, 3 mars 1942, Montmartre, 20 avril 1944), la mode et la vie parisienne (courses à Longchamp), les faits de guerre (débarquement de Dieppe, août 1942), le sabordage de la Flotte à Toulon (Fin novembre 1942)... Rappelons que Signal est un organe de la Propaganda Stafel glorifiant, à travers toute l'Europe occupée la geste héroïque de la Wehrmacht, de la Waffen SS, de la LVF, etc. Une partie magazine traite des sorties, loisirs, cinéma, théâtre, mondanités, répandant insidieusement l'idée que, son art de vivre intouché, la France s'accommode fort bien de la présence allemande.

Octobre 1944 : André Zucca est arrêté et inculpé de « collaboration avec l'ennemi et atteinte à la sûreté de l'état ». Il est relâché sur intervention, semble-t-il, de l'entourage du général de Lattre de Tassigny.

1945 : Les poursuites sont abandonnées et Zucca quitte Paris pour Garnay, près de Dreux et change de nom (il devient Piernic, contraction du prénom de ses deux enfants, Pierre et Nicole).

1952 : Il ouvre une boutique de photographie à Dreux. Mariages, portraits, communions et ... Faillite.

1965 : Retour à Montmartre.

1973 : André Zucca meurt, à Paris.

1986 : la Bibliothèque historique de la Ville de Paris achète aux enfants du photographe, Pierre (réalisateur : Vincent mit l'âne dans un pré, avec Michel Bouquet, Bernadette Lafont, Fabrice Luchini) et Nicole, l’ensemble du fonds photographique.

Figure de baroudeur, de voyou et de collabo, André Zucca est à l’image de sa biographie (d’ailleurs parcellaire et contradictoire), un personnage déconcertant. On aimerait en savoir plus sur les inculpations dont il fait l’objet dans les années 20, sur la nature de ses relations avec Kessel, sur son absence aveuglante du milieu de la photographie parisien, en pleine effervescence dans les années 30, sur les conditions de la négociation de son contrat avec Signal, sur sa relaxe après guerre et du soutien de personnages au dessus de tout soupçon dont il semble avoir bénéficié, sur sa vie de modeste artisan de l’Eure et Loir, sur ses dernières années à Paris. Un parfum de mystère flotte, de barbouzerie, peut-être. Si Zucca ne semble pas s’être voulu artiste, ses cadrages ou ses compositions trahissent des ambitions esthétiques. Ce qui frappe également, c’est une certaine absence d’empathie, de chaleur, d’émotion. Certains de ses clichés ont ainsi la froideur impeccable de la peinture hyperréaliste. Comble pour un photographe de propagande, Zucca semble s’appliquer à ne rien montrer, à ne rien dire. Un paradoxe qui n’est qu’apparent, le photographe de propagande, après tout, ne dit et ne montre que sur commande. Pour ses clichés personnels, Zucca, gêné par tant de liberté et, en un sens, par la simple réalité (qui, peut-être, ne l’intéresse pas beaucoup), conserve ses tics, compose, cadre… Selon qu’on soit pour ou contre Sainte Beuve, on fera ou non son miel de ce que disait Pierre Zucca de son père qu’il décrivait comme énigmatique, fantasque et mythomane

Paris sous l'occupation : pistes pédagogiques

Questionnaire élèves

1. Observez ces 2 photos. En vous aidant des textes joints, répondez aux questions suivantes :


a- Tentez de préciser la période et les lieux des deux prises de vues

b- Sur quels indices visuels pouvez-vous vous appuyer ? Précisez-les

c- Ecrivez une légende explicative et adéquate pour chaque image

> Textes :

Huitième ordonnance du 29 mai 1942

Signe distinctif pour les Juifs :

1. Les Juifs doivent se présenter au Commissariat de police pour y recevoir les insignes en forme d'étoile. Chaque Juif recevra trois insignes et devra donner en échange un point de sa carte de textile.

2. Il est interdit aux Juifs dès l'âge de six ans révolus de paraître en public sans porter l'étoile juive.

3. L'étoile juive est une étoile à six pointes ayant les dimensions de la paume d'une main et les contours noirs. Elle est en tissu jaune et porte en caractères noirs l'inscription « JUIF ». Elle devra être portée bien visiblement sur le côté gauche de la poitrine solidement cousue sur le vêtement.


Le port de l'étoile jaune a été imposé le 29 mai 1942. Mais les premières lois antijuives, édictées par Vichy, datent d'octobre 1940. En 1941, tous les Juifs ont dû aller se déclarer en mairie.
Marc Ferro, JDD du 30 Mars 2008


Pour leurs déplacements, les Parisiens utilisent les fiacres tirés par des chevaux, les quelques voitures à gazogène, les bicyclettes ou vélo-taxis. Certains font preuve d'ingéniosité et circulent à bord de drôles d'engins à pédales. La majorité va à pieds, doit s'adapter aux pénuries d'essence, aux magasins fermés, aux stations de métro transformées en refuge. Paris sous l'Occupation www.ina.fr/archivespourtous


Non seulement il n'y avait plus d'essence, mais les occupants avaient réquisitionné beaucoup de voitures. Des vélos-taxis ont remplacé les taxis. Et on a commencé à voir apparaître des voitures à gazogène vers 1942.
Marc Ferro, JDD du 30 Mars 2008


14 juin 1940, La Wehrmacht entre dans Paris, vidé des trois-quarts de ses habitants. Le premier acte de l'occupant est de confisquer tous les drapeaux français au fronton des édifices, immédiatement remplacés par des drapeaux à croix gammée. Même les drapeaux historiques des Invalides sont saisis.
Wikipedia


2. Observez ces 3 photos :


a- Tentez de préciser la période et les lieux des trois prises de vues

b- Ces photos datent-elles à votre avis de la même époque que les précédentes ? Sur
quels indices visuels pouvez-vous vous appuyer ? Précisez ceux qui sont en faveur de la même époque, ceux en faveur d’une autre époque.

c- Ecrivez une légende possible pour chaque image


3. Les images en couleurs que vous venez d’observer ont été prises par le photographe André Zucca. En vous aidant des textes joints, répondez aux questions suivantes.

a- Qui est André Zucca ? (quelques lignes biographiques)

b- Quelles sont les critiques adressées à l’exposition « Les Parisiens sous l’Occupation » ? Rédigez quelques phrases

c- Recomposez une légende pour les trois images ci-dessus en tenant compte de ces informations, sachant que ces photographies ont figuré dans l’exposition.



> Textes :

Après de nombreux reportages à travers le monde, André Zucca devient l’un des photographes de presse les plus actifs dès 1937. Correspondant de guerre pour France Soir et pour Paris Match en septembre 1939, André Zucca est réquisitionné par l’occupant en 1941 pour participer au magazine de propagande Signal, bimensuel diffusé dans les pays occupés. www.livresphotos.com/



André Zucca (1897-1973) fut le photographe français accrédité de Signal, journal de propagande nazie créé en 1940 à l'initiative de Goebbels. Signal fut diffusé dans tous les pays occupés par l'armée allemande. André Zucca fut poursuivi après la guerre pour collaboration et atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat.

Rue 89, 02/04/08


André Zucca a été jugé et relaxé à la Libération. Il a ensuite ouvert à Dreux une boutique où il réalisa des photos de mariage, de communions et de chasses à courre. Il est mort à Paris en 1973.

Libération, 08/04/08


Lundi, Bertrand Delanoë a voulu clore la polémique sur «Les Parisiens sous l’Occupation». L’exposition de la bibliothèque historique de la Ville de Paris (BHVP) met en scène 250 photographies inédites et en couleurs d'André Zucca, qui travaillait à l'époque pour Signal, un journal de propagande nazie. Des clichés représentant une capitale insouciante et paisible, qui contrastent parfois violemment avec la réalité historique. La polémique qui a gite depuis plusieurs jours la Ville de Paris concerne surtout le manque de pédagogie initial : aux premiers jours de l’exposition, aucun panneau explicatif n’indiquait que les images relevaient de la propagande. Ayant reçu plusieurs plaintes de visiteurs choqués, la Ville a ainsi décidé d’installer un texte d’avertissement à l’entrée pour expliquer que le photographe avait collaboré avec les Allemands. Après avoir un temps évoqué la fermeture de l’exposition, par la voix de Christophe Girard, adjoint à la Culture, la Ville a finalement décidé de la maintenir. Bertrand Delanoë a souhaité «ne pas ajouter une faute à des erreurs».

Le Figaro, 22/04/2008


Cette exposition est idéologique parce qu’elle redouble, amplifie et légitime l’entreprise de Zucca au service des nazis, parce qu’elle présente une part de réalité comme étant toute la réalité, parce qu’elle fait passer (comme le confirme son titre) les Parisiens de Zucca pour tous «les Parisiens».

Parisart.com, André Rouillé, 24/04/2008


Nous est offerte une vision qui, toute partiale et partielle qu’elle soit, rappelle que la vie a continué entre 1940 et 1944 et nous donne à redécouvrir toute la culture de l’époque : la mode, les acteurs en vogue, les loisirs des Parisiens ; autant de choses parfois oubliées, à l’instar du tandem-taxi ou des vendeurs de chansons. La couleur rend cette période si familière que s’en dégage paradoxalement un sentiment d’étrangeté. Dans ce bond de plus de soixante ans en arrière nous est dévoilé un Paris parfois presque vide, que nous connaissons sans vraiment le reconnaître. Et si le noir et blanc habituel des clichés de cette époque tend à rejeter la scène saisie dans un temps révolu et lointain, la couleur la réactualise avec force, la rapproche de nous, la rend à la réalité.
L’Humanité, 05 /04/08

André Zucca : un grand photographe payé par les nazis et disposant à ce titre de toutes les latitudes, aussi bien administratives (il était alors interdit de prendre des photos dans Paris) que techniques (ses photos sont fixées sur pellicule Agfacolor, offerte par les autorités occupantes). Christophe Girard, premier adjoint à la Culture à la mairie de Paris, nous faisait alors part d’un certain malaise : «J’ai été gêné par l’ambiguïté de cette exposition.» Cette gêne provoqua la décision de distribuer à l’entrée de l’exposition un avertissement rappelant, entre autres, qu’André Zucca «a choisi un regard qui ne montre rien, ou si peu, de la réalité de l’Occupation et de ses aspects dramatiques».

Libération, 21/04/08


Décidément, cette exposition sur “Les Parisiens sous l’Occupation” ne passe pas. Il faut dire que rarement une manifestation de ce type, prêtant de toute évidence à controverse, aura été préparée et lancée avec une telle désinvolture alors qu’elle exigeait davantage de doigté que n’importe quelle autre exposition photographique en raison même du contexte des prises de vues (la propagande) et de la qualité du photographe (collaborateur du magazine allemand Signal).
République des Livres, Pierre Assouline, 17/04/08


Vue partielle ou partiale, manipulation, propagande, honte : de modérées à virulentes les critiques se sont multipliées. Des historiens se sont également élevés contre la présentation des photos de Zucca. Aurait-il fallu changer le titre de l'exposition ? mettre en regard les aspects sombres de l’Occupation, avec éventuellement d’autres photos, en noir et blanc celles-la, évoquant le rationnement, les arrestations et exécution des francs-tireurs - dont les noms étaient placardés sur les murs – et les rafles de femmes et d’enfants juifs à partir de l’été 1942 ?
RFI, 21/04/08 /www.rfi.fr




4. Comparez ces deux photographies de Zucca et de Doisneau : plans, cadrages, mise en scène… Essayez de dire quelle « vision » donnent ces deux photographes d’une même réalité.
Puis, en vous aidant des textes, vous proposerez une légende pour chaque image.


> textes :

Les services de la Wehrmacht sont même convoqués à participer à l’animation artistique de la capitale : des concerts de musique militaire et de classiques allemands (Beethoven, Wagner…) sont régulièrement donnés par des ensembles musicaux de l’armée, place de l’Opéra, au Jardin des Tuileries, sur le parvis de Notre-Dame, place de la République, etc. Ils attirent un public nombreux.

Laurent Gloagen, Paris sous l’Occupation, Embruns


L’historien Jean Pierre Azéma rappelle dans sa préface au catalogue de l’exposition Zucca « le statut singulier dont jouissait la France dans l’Europe occupée », avec d’une part le gouvernement de Vichy « certes satellite, mais autonome », et d’autre part, le rôle dévolu à Paris par Goebbels : être la devanture d’une stratégie culturelle destinée à gagner les élites dans « l’Europe nouvelle ». La musique devait jouer un rôle important, « pour les mélomanes, écrit Pierre Azéma, Goebbels fit venir à Paris les orchestres et les chefs les plus prestigieux du Reich (…) Pour Monsieur Tout-le- monde, chaque dimanche la musique de l’armée jouait dans les kiosques des pots-pourris de marches militaires, de chansons folkloriques et d’airs d’opérettes, qui trouvaient des auditeurs.

RFI, 21/04/08, www.rfi.fr


5. Quelles remarques pouvez-vous à présent formuler sur la notion de point de vue ainsi que sur le statut de l’image en tant que document historique ?



Annexes

1. Deux photos de Zucca (visibles sur les sites du Monde2 et de 20 minutes.fr)

Rue de Rivoli (une passante portant l’étoile jaune)

Rue de Rivoli (sous la croix gammée, vers le Louvre)

Ne pas mentionner les dates, lieux, photographe aux élèves

Extraits de textes de Marc Ferro, historien et 8ème ordonnance du 29 mai 1942


2. Trois photos de Zucca (visibles sur les sites du Monde2 et de 20 minutes.fr)

Rue de Belleville. Paris, 1944

Place de la Concorde

Le Zoo de Vincennes

Ne pas mentionner les dates, lieux, photographe aux élèves


3. Extraits d’articles de presse sur la polémique concernant l’exposition « Les Parisiens sous l’Occupation » et sur la vie de Zucca.


4. Deux photos (visibles sur le site Arrêt sur Images)

Doisneau, la fanfare traverse la rue de Rivoli

Zucca, Musique militaire, place de la République, 1943

Extraits d’articles de presse et du catalogue de l’exposition (Azéma) sur la présence des fanfares à Paris pendant l’Occupation