dimanche 4 mai 2008

Expo Zucca : Pétain en vitrine

S’il on a beaucoup commenté certains clichés de l’exposition Des Parisiens sous l’Occupation, qu’ils semblassent accabler ou blanchir leur auteur, il en est un qui, assez curieusement, est passé (presque) inaperçu : la vitrine d’une boutique de chaussures pour dames au beau milieu de laquelle, entre les modèles de la collection d’été, trônent le portrait du paterne Pétain et une affichette informant le chaland de la nature libre de la vente des articles exposés. Cette image, par le contexte de son époque et la lecture qu’on en peut faire aujourd’hui, surtout dans le cadre polémique de l’exposition dont nous parlons, mérite qu’on s’y attarde, car elle se prête complaisamment aux interprétations les plus contradictoires.

S’il est vrai qu’aucun photographe (de semaine ou du dimanche) ne saurait résister à la tentation d’immortaliser les juxtapositions insolites, la unions improbables, le choc de réalités contrastées, alors cette photographie est, peut-être, tout simplement, une bonne blague. Qu’est-ce qui est en vente libre ? Le maréchal ? La France ? Et vendu à qui ? Aux allemands, bien sûr. Une blague teintée de subversion potache ou d’un véritable sentiment anti-vichyste. André Zucca ne serait pas le seul collaborateur germanophile à n’avoir eu aucune sympathie pour Pétain et sa clique.

La même interprétation d’une France vendue à l’ennemi par son chef, peut aussi, bien entendu, se lire sans filtre et sans humour. Ce cliché devient alors clairement militant. De vente libre à France libre, il n’y a qu’un pas que toutes ces chaussures nous proposent peut-être de franchir. En fixant telle quelle une composition d’objets, agencée par un commerçant dans une intention on ne peut plus loyale au régime, le détournement de sens est d’autant plus efficace. La même photo signée de Doisneau serait sans doute interprétée ainsi.

Il se trouve aussi que la représentation faite ici du héros de la Grande Guerre, tout entouré d’articles à la fois triviaux et frivoles, de chaussures de femmes, de présentoirs et d’étiquettes, est, tout uniment, ridicule et pathétique.

S’il est, en effet, ardu de voir dans cette sorte d’oxymoron graphique, un hommage quelconque à la gloire du Maréchal, on peut malgré tout s’y risquer. Le Père de la Révolution Nationale rétablit la vente libre (c'est-à-dire sans ticket de rationnement) sur un certain nombre de produits, et pas seulement de première nécessité. L’élégance voire la coquetterie, sont toujours de mise dans le Paris occupé, preuve que tout ne va pas si mal. Le vieux soldat, chaud lapin notoire en ses folles années de jeunesse semble au reste, fort bien s’accommoder de la compagnie de ces articles à forte connotation érotique, mais c’est sans doute aller un peu loin…

Le cadre et les lettres de l’affichette, les ongles vernis des pieds-mannequins ainsi que, pour les plus observateurs, les semelles et talons de la paire de chaussures la plus chère (135 contre 127 Francs pour toutes les autres) sont rouges. Un nombre élevé – significativement élevé, des clichés en couleurs de Zucca est ainsi très artistiquement et très consciemment composé autour d’éléments rouges qui, tranchant sur un environnement désaturé, attirent le regard. D’aucuns y ont vu un message discrètement résistant, certains, au contraire, le rappel incessant des couleurs du drapeau nazi et de la charte du magazine Signal, d’autres, enfin, la patte esthétisante d’un véritable artiste.

Il reste, sans plus d’analyse, et quelles qu’aient pu être les intentions d’André Zucca (s’il en avait) que le mot Libre résonne ici étrangement…

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